Le centre de soins de Francfort pleure un oiseau pas comme les autres.
Les accidents, ça arrive. Nous le savons. Les nombreux martinets blessés qui nous sont confiés chaque jour nous montrent les dangers qui guettent ces acrobates du vol et nous rappellent combien les activités liées à notre mode de vie peuvent leur être fatales: circulation routière, immeubles en verre, lignes à haute tension, antennes, câbles, échafaudages bloquant l’accès aux sites de nidification.
Parmi tous les oiseaux que nous relâchons, certains ne vivront pas longtemps: c’est un fait statistique, même si nous préférons ne pas y penser…
Lundi 6 juin, il faisait un temps magnifique, et nous en avons profité pour relâcher plusieurs martinets juvéniles qui avaient passé l’hiver dans nos locaux: Haru et Lotte, les inséparables Yentl et Asmus, ainsi que trois adultes de la saison 2016, remis de leurs blessures. Leur départ fut des plus réussis et nous vîmes chacun d’eux tournoyer dans le ciel et s’amuser en volant. Quelle belle journée …
… croyions-nous. En fin d’après-midi, on nous apporta un martinet grièvement blessé. Nous fûmes épouvantés à la vue des blessures terribles qui martyrisaient son crâne, et notre épouvante augmenta encore d’un cran lorsque nous reconnûmes la malheureuse victime: notre Yentl!
Elle était privée de toute réaction, en état de choc profond. Sans perdre en instant, elle reçut les premiers soins. Il était impossible de l’opérer pour refermer les plaies, car elle n’aurait pas supporté l’anesthésie. Notre courageuse petite oiselle passa le reste de la journée, ainsi que la nuit, dans la caisse de soins intensifs, ses ailes impeccables mollement étendues de chaque côté de son corps. Le lendemain matin, aucune amélioration: elle se trouvait toujours dans un état comateux. Avec précaution, je nettoyai les plaies et les recouvris à plusieurs reprises. Je savais qu’elle ne survivrait pas à une opération, et je me demandais si elle survivrait tout court…
Yentl n’est pas revenue à elle. En fin d’après-midi, elle s’est endormie pour toujours sans avoir repris connaissance. Nous ne saurons jamais précisément ce qui lui est arrivé, mais nous nous sommes rendus à l’endroit où elle a été trouvée et nous pensons que, toute à son bonheur de voler enfin, elle a heurté une grue de plein fouet. Tourné avec un portable, le film de son départ montre un oiseau qui s’élève avec puissance et grâce dans le ciel, comme s’il avait volé toute sa vie.
Yentl était arrivée chez nous le 25 août 2015; victime d’un régime alimentaire inadapté, son plumage était complètement détruit. Cependant, elle remonta magnifiquement la pente et devint un oiseau gai, solide et plein de vie, qui prenait volontiers les grillons dans nos doigts et n’avait pas son pareil pour demander, d’un battement de cils irrésistible, une portion supplémentaire. La regarder vous mettait l’humeur au beau fixe…
Repose en paix, petite Yentl, nous ne t’oublierons jamais. J’espère que ta dernière sensation, avant le terrible choc, fut celle de ton vol joyeux dans le ciel azur, toujours plus haut, vers le soleil …