Huit cent dix-sept martinets ont été pris en charge par notre clinique durant l’année 2020. Environ soixante-dix attendent d’être transférés chez nous depuis différents centres. Présentant des lésions du plumage, ils sont en attente de mue, et/ou ont besoin d’une remise en état des plumes. Pour tous, des séances de rééducation seront nécessaires. Sur l’ensemble des martinets accueillis en 2020, trois cents d’entre eux étaient des oiseaux adultes. Du jamais vu.
Si le nombre de pensionnaires constitue à lui seul un défi, il nous faut aussi compter avec la crise du coronavirus et ses conséquences. Avant même le début de la saison 2020, nous avons été contraints d’annuler un voyage aux Canaries, et les seize candidats au départ sont restés à la clinique. Dans les semaines qui ont suivi, aucun transfert n’a pu avoir lieu et il nous a fallu attendre le mois de mai pour relâcher nos oiseaux…depuis Francfort. Ces annulations ont été lourdes de conséquences: plusieurs oiseaux prêts à partir ont cessé de se battre et se sont laissés mourir. Le comportement des gens, qui ont stocké certains produits, entraînant leur pénurie, ont encore compliqué notre quotidien: l’essuie-tout ou les masques FFP2, dont nous avons grandement besoin, sont devenus impossibles à trouver, ou alors à des prix exorbitants; le matériel médical a connu des difficultés de livraison, les produits de désinfection ont été parfois en rupture de stock. Une situation qui a entravé notre activité, nous a demandé une grande dépense d’énergie et nous a mis à rude épreuve nerveusement. Cela dure encore aujourd’hui.
Dès la fin de l’été, nous nous dirigions vers une augmentation du nombre de malades du coronavirus, et sa cohorte de restrictions, partout en Europe. Nous avons dû alors informer les centres allemands et étrangers que, contrairement aux années précédentes, nous ne pourrions prendre en charge leurs martinets en vue d’une rénovation du plumage. En effet, s’il nous est impossible de relâcher des oiseaux, comment en accueillir de nouveaux? Lorsqu’une place se libère - malheureusement, quand un oiseau meurt -, un autre peut être pris en charge. Devoir travailler dans ces conditions est très éprouvant. Savoir que des martinets destinés à retrouver la liberté doivent être euthanasiés est extrêmement difficile à vivre. Car nous ne pourrons pas aider l’ensemble des martinets actuellement en soin (soixante-dix-sept martinets noirs et six alpins). Nous ne pourrons pas non plus accueillir tous ceux qui ont besoin d’aide dans d’autres centres. Une lueur d’espoir demeure toutefois: pendant quelques petites semaines, les Canaries n’ont plus été considérées comme zone à risque et nous avons pu, en dépit des nombreuses difficultés, nous y rendre une fois en novembre et une fois en décembre. Pour notre plus grand bonheur, vingt-huit martinets ont pu alors retrouver la liberté! Actuellement, de nouvelles restrictions sont apparues et l’incertitude règne. Mais nous allons tenter!
Quatre-vingt-trois martinets, cela signifie nourrir, nourrir, et nourrir encore, sans oublier les soins, à savoir une injection de vitamines B tous les 10 jours, les douches, les séances de luminothérapie, la rééducation et les « distractions ». A cela, il faut ajouter le nettoyage, encore et toujours, la préparation des plumes destinées aux greffes, les greffes elles-mêmes. Il faut aussi attendre - attendre que de nouvelles plumes poussent, espérer que les oiseaux resteront en bonne santé, surmonter sa tristesse quand un oiseau renonce, tombe malade, n’est définitivement pas apte à voler et doit être euthanasié, ou quand il meurt. Heureusement, il y a aussi de la joie, lorsqu’on voit que la rééducation porte ses fruits et qu’un martinet vole de mieux en mieux, les ailes bien symétriques et à toute allure. Il faut également veiller que les stocks d’essuie-tout, de médicaments, d’aiguilles, de désinfectants et de masques ne sont pas au bout. Il faut enfin réduire les monceaux de linge sale qui s’entasse, s’occuper des mails, mettre à jour des listes, des statistiques, effectuer les tâches administratives. Et tout faire pour que nos protégés retrouvent la liberté dans les meilleures conditions possibles.
Bien sûr, il y aussi des choses encourageantes: si nous avons perdu deux soigneurs, nous avons intégré à notre équipe plusieurs personnes gagnées à la cause des martinets. Ce serait bien que d’autres puissent rejoindre nos rangs, mais la crise sanitaire complique tout. Et cela va sans dire: les martinets eux-mêmes constituent pour nous une grande source de joie et de motivation.
Voici l’histoire de Fortunatus et de ses rejetons, Tom et Kaspar. Fortunatus est trouvé pendu par une patte à son nichoir, luttant désespérément pour se dégager. Par chance, le nichoir est facile d’accès et l’oiseau est libéré sans délai. Tandis qu’il est conduit à la clinique, ses découvreurs s’aperçoivent que le nichoir est plein à craquer. Sur nos conseils, ils le dépendent afin que l’on puisse regarder à l’intérieur. Entre-temps, Fortunatus est arrivé dans nos locaux. Il ne présente aucune trace de blessure et peut être relâché immédiatement. Son nichoir et lui se sont croisés, car peu de temps après son départ, le nichoir nous est apporté. Il est rempli de paille, de brindilles, de bouts de ficelle - clairement du matériel apporté par des moineaux -, et que découvrons- nous ? Un nid de martinets, avec deux oisillons bec ouvert, qui réclament à manger. Seuls 2-3 cm restaient libres jusqu’au plafond du nichoir; comment les oiseaux ont-ils pu couver dans un si petit espace ? Si, l’oisillon n°1, Kaspar, est bien nourri et joliment développé, l’oisillon n°2, Tom, est nu comme un ver et minuscule: il a dû manquer souvent son tour de nourrissage! …Le petit Tom était condamné à une mort certaine. Le nichoir où il avait vu le jour était, sur l’un des côtés, beaucoup trop exigu pour héberger une famille de martinets. En outre, cette histoire montre qu’il est indispensable d’inspecter et de nettoyer chaque année les nichoirs mis à la disposition de nos amis ailés. Une fois que le nichoir adapté aux martinets est acheté et placé à l’endroit retenu, il reste à attendre que les oiseaux veuillent bien en prendre possession. Quant à nos deux frères, Tom et Kaspar, ils ont été élevés à la clinique.
Pour nous, la saison martinets a commencé le 27 avril 2020, avec l’adulte Lucas, qui a été relâché le 6 mai. Au moment de son arrivée, Lucas affichait un poids de presque 48 g - cela prouve qu’il y a encore suffisamment d’insectes, c’est rassurant. Peu de temps après, Leonara et Garou ont fait leur entrée à la clinique. Tous deux ont été relâchés. Floki, en revanche, n’a pas eu cette chance … il a trouvé son nid habituel occupé par des étourneaux qui, avec leur bec effilé, lui ont infligé de graves blessures. On ne peut en vouloir aux étourneaux: eux aussi ont du mal à se loger! Seule une approche respectueuse des oiseaux nichant dans les bâtiments peut, avec le temps, améliorer la situation.
Notre premier bébé de la saison, le petit Joffrey, nous est confié le 2 juin 2020. Âgé de huit jours, il souffre déjà de malnutrition et présente un mauvais état général. Le deuxième oisillon n’arrive que le 16 juin. Il est âgé de quatre semaines et son poids n’est pas bon. Néanmoins, il remonte la pente et il est relâché le 25 juillet.
Comme toujours, ce sont les oiseaux au destin contrarié qui nous marquent le plus. Ceux pour qui le retour à la liberté était loin d’être acquis. Ceux qui, victimes de graves blessures, ont dû réapprendre à voler parfaitement, et qui, au fil des séances de rééducation et au prix d’énormes efforts, ont essayé de retrouver leur fluidité de vol. Ceux dont les essais de vol se terminaient immanquablement au sol et qui, sans se décourager, repartaient à l’attaque - ceux qui, à l’image des adultes Heahmund ou Nero, ont effectué courageusement et pendant des semaines, de difficiles séances de rééducation, malgré un pronostic de départ plutôt sombre, et qui, aujourd’hui, nous l’espérons, survolent le bassin du Congo et se régalent de délicieux insectes. Il y a aussi de jeunes oiseaux comme Leilane qui, lors de son premier essai dans la salle de rééducation, volait de façon asymétrique. Des oiseaux qui savent parfaitement qu’ils ne sont pas faits pour passer leur vie en captivité et qui mettent tout en œuvre pour acquérir une capacité de vol digne de leur espèce. Tenir l’un d’entre eux dans sa main pour le relâcher, le voir s’assurer que plus rien ne s’oppose à sa liberté et le regarder s’envoler comme une flèche est un moment de pur bonheur.
Comme chaque année à partir de la fin de l’été, de nombreux oiseaux présentant des lésions du plumage nous sont signalés, mais nous n’en accueillons qu’un petit nombre, car nous ignorons si les voyages vers les Canaries pourront avoir lieu. Durant le mois de septembre, nous essayons d’effectuer le plus de « petites retouches » possible, afin de relâcher à temps et depuis Francfort les martinets les moins atteints. Malheureusement, dès mi-septembre, le temps tourne et les relâchers depuis Francfort ne sont plus possibles. Nos locaux sont pleins. C’est un coup dur, car nous espérions effectuer des relâchers jusqu’à début octobre, si le temps avait été favorable. Relâcher des martinets en automne avec des températures trop basses et un temps plus qu’incertain, comme ce fut le cas pendant de longues semaines, c’est signer leur arrêt de mort. Il n’y a pas à y revenir. Nous devons donc voir les choses autrement; nous décidons de poursuivre les remises en état du plumage afin d’avoir des oiseaux prêts au départ si les Canaries redevenaient accessibles. Nous avons bien fait! Deux transferts ont déjà été effectués et nous espérons qu’il y en aura d’autres cet hiver et ce printemps!
Nous espérons que vous avons passé de bonnes fêtes de fin d’année, entourés de vos proches ou amis, et nous vous souhaitons, pour 2021, une bonne santé, une belle dose de confiance et d’espoir. Nous vous remercions pour l’aide que vous nous avez apportée durant l’année écoulée. Restez fidèles à nos amis les martinets tout au long de celle qui vient - votre soutien nous est particulièrement précieux en ces temps difficiles!
Cordialement,
Dr Christiane Haupt, l’équipe du centre de soins, ainsi que les membres du conseil d’administration de la société de sauvegarde du martinet.