Ce fut un départ sur les chapeaux de roue que nos 11 surdoués du vol effectuèrent mardi dernier, sur l’île de Fuerteventura. La tension dura jusqu’à la dernière minute: il y eut tout d’abord les greffes, qui, en raison d’un manque de personnel, s’enchainèrent à un rythme effréné durant les jours fériés entre décembre et janvier, et prirent fin trois jours seulement avant le départ. Ensuite, un front pluvieux s’étendant sur une vaste zone nous tint en haleine jusqu’à mardi matin: allait-il se décaler vers l’Afrique ou se maintenir au-dessus de Fuerteventura ? Par chance, il choisit la première option. Enfin, mes protégés, se sentant trop à l’étroit dans leur caisse de voyage, entonnèrent un véritable concert de piaillements pour attirer l’attention et jouer avec mes nerfs, déjà bien à vif. Pour finir, l’impétueux Gregory, arrivé chez nous fin 2013, se cassa 3 rectrices durant le voyage, qui furent réparées non sans mal...
Ce jour-là, notre site de relâcher, qui se trouve sur la montagne sacrée des Guanches, subissait une fois de plus les assauts du vent. De violentes rafales ébouriffaient nos cheveux et les plumes des martinets. Attirée par la Jeep qu’elle reconnut aussitôt, notre buse familière apparut sur-le-champ. Toutefois, afin d’éviter toute rencontre potentielle avec un faucon, nous avions décidé de faire partir nos oiseaux de l’autre côté de la montagne, sur le versant ouest.
Ce furent nos meilleurs athlètes qui ouvrirent le bal: Gaston, originaire de Berlin, et Ovidio, originaire de Livourne (Italie). Ils partirent comme des flèches. Furieuse, la buse se lança à leur poursuite, mais ne pouvant les suivre tous les deux en même temps et incapable de se décider, elle renonça, vexée, et ne se montra plus. Les deux suivants, tout aussi performants que les premiers, devaient être Mia, originaire de Berlin et Vitali, originaire de Potsdam. Malheureusement, une rafale de vent fit culbuter Vitali de ma main dans un buisson. Menue et aérodynamique, Mia partit donc toute seule, tandis que Vitali, un peu sonné, était minutieusement examiné après avoir été récupéré. Par chance, il ne présentait aucune blessure, mais nous le laissâmes se remettre de ses émotions et décidâmes de relâcher le grand et solide Cornelius, originaire de Karlsruhe. Comme nous l’imaginions, il effectua un départ magnifique. Puis Vitali eut droit à sa deuxième tentative, qui fut la bonne: il se joua du vent et s’éleva dans l’air avec force, porté par les plumes de notre chère Greta.
Ce fut ensuite le tour de trois pensionnaires de 2013: la délicate Grace, originaire de Monaco et arborant un plumage parcouru de nuances claires, le fougueux Gregory, son compagnon, au plumage presque noir, et Spike, originaire de Wadern, dont le courage et la ténacité ne sont jamais démentis depuis un an et demi. Son premier départ, qui avait eu lieu l’été dernier, s’était terminé contre un réverbère. Cette fois, plus rien ne devait l’arrêter (aucun réverbère à la ronde!) et il partit à la conquête du ciel comme une tornade. Voir voler ces trois martinets, dont on s’était occupés si longtemps et pour lesquels on s’était tant inquiétés, me procura une émotion indescriptible.
Jerzy, notre pensionnaire polonais, leur succéda : que ses découvreurs et ses fans se rassurent, il dépassa toutes nos espérances et fit preuve d’une maîtrise de vol digne d’un martinet adulte, comme s’il avait passé son temps dans les airs. Quand on pense comment il était il y a encore quelques semaines…
Pour terminer, il y eut Émilien, un joli petit oiseau originaire de France et arrivé chez nous encore bébé, et le fragile Cadfael, son compagnon, originaire de Landau et issu d’une nichée tardive. Ils s’élevèrent tous deux au-dessus des pentes rocheuses battues par les vents, eux aussi, avec des plumes neuves et après plusieurs mois de rééducation intensive : Émilien s’était ankylosé et Cadfael avait perdu force et vigueur. Au moment du départ, tout cela était bien loin: ils découvraient enfin leur élément!
Et les voilà partis tous les onze! Des cris d’Indiens, poussés par des derviches en train de danser, retentirent depuis la montagne des Guanches…Nous étions tous les quatre très heureux. Et zut ! Avec toute cette agitation, on a encore oublié le mousseux!
Derrière nous, la vénérable Montana de Tindaya a dû s’étonner, une fois de plus, de voir ce qui se passait à ses pieds. Cependant, je suis certaine qu’elle préfère nos martinets à ces satanés conducteurs de quad qui font un bruit infernal ou à ces « artistes » farfelus qui veulent creuser ses parois.