-il ne manquait vraiment plus que ça! Jusqu’à présent, nous autres martinets, nous étions les seuls à arborer de superbes gorges d’un blanc immaculé, et maintenant, voilà que les humains se trimballent avec des trucs bosselés sur la figure et, horreur, ces trucs sont parfois bleus! Et le mot « test » est dans toutes les bouches - je ferai remarquer au passage que ceux qui sont testés, c’est nous! Essais de vol, tests de vol... Et quand on est positifs (contrairement à nos soigneurs), ça veut dire que tout est bon et qu’on vole parfaitement bien!
«Permettez-moi de me présenter: je m’appelle Casilda, martinet alpin de mon état. J’ai passé plusieurs mois à la clinique de Francfort. À l’heure qu’il est, les copains et moi, on a retrouvé la liberté. Je les trouve quand même curieux, ces humains : tout d’abord, on passe des mois et des mois à la clinique, on est chouchoutés, dorlotés, puis un beau jour, on nous attrape, on nous entasse dans un sac - je tiens à le souligner - avec d’autres congénères que parfois, on ne peut pas blairer. Et gare si on se plaint! On se fait tout de suite recadrer par l’un des humains! Car avant le départ, ça brasse dans tous les sens, c’est la grosse agitation. Enfin, on nous sort du sac et là, miracle: le ciel est bleu et il fait chaud. Il m’a fallu déplacer mon compas interne de…4000 kilomètres au sud. Soudain, c’est la LIBERTÉ! Ils sont fortiches, ces humains, faut le reconnaître - même s’ils se mettent à nous imiter et s’affublent de ces gorges blanches artificielles, mais ça, je ne saurai jamais pourquoi - … »
Voilà, cher lecteur, le reportage fictif de l’alpin Casilda, qui vogue maintenant sous d’autres cieux. À la clinique, l’activité suit un cours presque normal, en dépit du confinement et des restrictions. Pas question, en revanche, de travail à distance avec plus de soixante-dix pensionnaires dont il faut s’occuper 24 heures sur 24; nous passons donc notre temps à la clinique. Entre le nourrissage, les soins, les greffes de plumes, les séances de rééducation, le travail administratif, l’organisation de la saison à venir, nous avons de quoi faire! De nombreux oiseaux attendent encore d’être transférés chez nous depuis les centres partenaires. Depuis le début de l’année, nous avons accueilli quatorze nouveaux patients. Avec persévérance et régularité, nous nous employons à redonner à chaque oiseau, l’un après l’autre, un plumage tout neuf. C’est long, mais on avance. Le désespoir de l’été, lorsque tout transfert vers le sud semblait impossible, a cédé la place à l’espoir. Car nous avons pu nous rendre aux Canaries - certes, dans une moindre mesure que les années précédentes, mais tout de même: ces derniers mois, nous avons pu emmener et relâcher quarante-cinq martinets noirs et six martinets alpins. Soit cinquante et un oiseaux, que nous ne pensions pas pouvoir sauver à cause des restrictions sanitaires! Nous sommes très heureux. Et nous espérons de tout cœur que nous pourrons continuer notre activité et sauver le plus d’oiseaux possible, même si cela reste compliqué, long et onéreux.
La confiance est de retour à la clinique. Nos pensionnaires le ressentent, et ils nous remercient par leur bon appétit, leur bonne santé, leur persévérance, sans oublier leurs excellentes performances dans la salle de rééducation! Petit à petit, chacun de nos balais hirsutes se transforme en un ravissant martinet au profil aérodynamique. Le groupe des prochains candidats au départ doit être constitué sous peu. Là encore, nous n’aurons plus qu’à leur souhaiter: «Bonne chance et du vent sous les ailes, toujours et partout!»