Le légendaire Woody à Fuerteventura? Comment est-ce possible? Vous qui lisez fidèlement nos chroniques, vous avez suivi les aventures de Woody depuis son arrivée chez nous le 14 juillet 2015. C’était alors une misérable créature, aussi traumatisée psychologiquement que mal en point physiquement. Mais Woody était un vaillant petit soldat qui ne s’est jamais avoué vaincu. Il nous a fait passer par toutes les émotions, comme au cinéma! En ce 10 juin 2016, les rires et les larmes de joie étaient au rendez-vous chez ses nombreux fans, tout comme au sein de notre équipe. Ce jour-là en effet, notre cher Woody, devenu un fringant jeune homme, découvrait le ciel de Francfort en compagnie de son camarade Momo.
Durant les jours qui ont suivi, Woody a descendu le Rhin sur environ quatre-vingts kilomètres, avant de se retrouver confronté – nous avons reconstruit le film après coup – à de fortes pluies. C’est vrai que le mois de juin 2016 a été bien arrosé! L’indestructible Woody s’est fait piéger. Il a atterri en catastrophe dans un grand jardin, à Wackernheim, avant d’être découvert, probablement deux ou trois plus tard. Par qui? Par un chat, qui a rapporté à sa maîtresse la pauvre bête trempée jusqu’aux os (c’est bien la toute première fois que nous devons remercier un chat…). La propriétaire du matou a pris en charge notre Woody, en état d’hypothermie et proche de l’inanition. Elle s’est aperçue qu’il était bagué, a fait des recherches, pris contact avec nous, puis est venue jusqu’à Francfort. Une semaine à peine s’était écoulée depuis son départ que notre super-héros nous revenait déjà. C’était à peine croyable.
Pendant toute une période, le pronostic était plutôt sombre. Malgré les soins constants dont il faisait l’objet, nous n’étions pas sûrs qu’il se remettrait. C’était mal le connaître! Une fois de plus, Woody a fait pencher la balance du côté de la vie. Il semblait tout content d’être revenu à la maison! Toutefois, son camarade Momo lui manquait beaucoup (pourvu que tout se soit bien passé pour lui!) et il n’acceptait personne d’autre. Même au bout de plusieurs semaines, il agressait chaque nouvel arrivant que nous tentions d’introduire dans sa caisse. Il était fidèle, notre Woody! Il est donc resté seul dans sa caisse, dont les parois transparentes lui permettaient d’observer toute l’animalerie. Il ne semblait avoir aucune envie de repartir. Comme il était en train de muer, nous avons décidé de laisser faire les choses.
Woody termine la mue de ses ailes à la fin de l’automne. Il reprend alors les séances de vol dans la salle de rééducation. Sans entrain, il y trace des cercles parfaits, tout en arborant l’air désabusé de celui qui connaît le vaste monde et n’a que faire de ces jeux de gamins. Soudain, il met plus d’ardeur dans ses exercices. Et même un brin d’ostentation. Il faut dire que son tout nouveau camarade de vol est le ravissant Justinus, un juvénile originaire de Hanau (probablement Justine, comme nous seront bientôt amenés à le penser!). Justinus/Justine est un TRÈS bel oiseau, qui vole avec une grâce irrésistible. L’élégant Woody, tout de noir vêtu, au plumage doux comme de la soie, commence à faire le beau. Hum. Nous organisons donc une petite rencontre dans sa caisse, mais nous nous tenons prêts à retirer Justinus/Justine pour lui épargner les coups dont chaque nouveau partenaire s’est vu gratifier jusqu’à présent… Or de coups, point! Woody et Justinus/Justine se retirent dans les plis de la serviette, et je vois une pancarte « Ne pas déranger » suspendue à une poignée imaginaire! Ils ne réapparaissent que le soir. Pour finir, Justinus/Justine quitte son domicile pour emménager chez notre vieux briscard. Désormais, ils sont unis comme les doigts de la main. J’émets une réserve par rapport au jeune âge de Justinus/Justine, mais Woody me décoche un regard courroucé qui semble dire : « Ne t’avise surtout pas de me l’enlever! »
Ce ne sera pas nécessaire, d’autant que Justinus/Justine est apte à voler et que Woody l’est aussi, et même plutôt deux fois qu’une! Tous deux sont déjà enregistrés pour le troisième vol vers les Canaries, qui aura lieu le 18 novembre. Ils seront avec leurs camarades Lilly et Isolde, deux pensionnaires de 2015, originaires d’Eisenach, les quatre Roumains au tempérament de feu, Ariel, Reyanne, Evan et Aaron, ainsi que les juvéniles Amir, originaire d’ Offenbach, Lenka, originaire de Langen, Thalia, originaire de Francfort-Bonames, Pippa, originaire d’Obertshausen et Mirabeau, originaire de Francfort-Höchst. Nous partons en ce vendredi gris et humide, c’est le troisième voyage en trois semaines. Nos candidats au départ sont tous uniques, ils ont chacun une histoire particulière. Et Woody est là! Que d’émotion…pour moi. Parce que lui, notre séducteur impénitent, il est parfaitement détendu et il flirte avec Justinus/Justine.
Nous sommes à peine arrivés sur le site du relâcher que la tension monte d’un cran: un faucon erre dans les parages. Nous changeons donc nos plans et nous grimpons sur les flancs pierreux de la colline, armés de nos caisses où les martinets ne cessent de s’agiter. Ils savent que quelque chose d’extraordinaire les attend – la liberté, le vent, le soleil!
Cette fois, j’ai mon équipe de pros autour de moi : Andrea, Pancho et Tina. Tous trois assurent la sécurité autour de la zone de relâcher, je peux être rassurée. Les martinets sont divisés en deux groupes. Ce sont les pensionnaires de 2015 qui ouvrent le bal. Isolde et Lilly partent comme des fusées, puis vient le tour de Woody – un adulte accompli, à l’allure majestueuse, qui a terminé sa mue et se trouve à l’orée de sa troisième vie. Les yeux brouillés par les larmes, j’invoque tous les saints de la terre afin qu’ils le protègent, puis sans perdre un instant, je fais partir Justinus/Justine, qui frétille d’impatience de rejoindre son ami. Le relâcher du premier groupe se termine avec le doux Amir et sa compagne Lenka, vive et agile.
Ce sont les Roumains, de fringants juvéniles, qui prennent la tête du second groupe. Impatients, ils filent comme des flèches, sans jeter en regard en arrière. La belle Ariel met le cap sur l’est, puis revient vers l’intérieur des terres en décrivant en large cercle, tandis que Reyanne, sauvage et déterminée, prend d’emblée de l’altitude et passe au-dessus des collines, tout comme le rapide et adroit Evan et le grand Aaron. Vient le tour de la solide Thalia, puis celui de la sensible et craintive Pippa, dont les troubles neurologiques, qui l’ont affectée pendant une longue période, ont aujourd’hui totalement disparu. C’est le délicat Mirabeau qui fait office de lanterne rouge. Il prend la direction du nord-est, mais le vent le repousse dans une gorge et ce n’est qu’après avoir effectué plusieurs virages et changé brusquement de direction qu’il parvient à s’en extraire et à revenir vers la vallée. Le paysage quelque peu chaotique le ravit à nos yeux, et même si nous sommes confiants dans sa capacité de vol, une certaine inquiétude demeure, qui entache la joie que nous éprouvons face à ces magnifiques départs.
En comptant le relâcher de ces treize martinets, ce sont en tout cinquante oiseaux qui ont retrouvé la liberté en l’espace de trois semaines. Même si nous sommes encore sous le coup de l’émotion et comme étourdis, notre joie est immense. Elle culmine en particulier la nuit qui suit cette journée estivale, lorsque le ciel, tout étoilé, nous offre le plus beau spectacle que nous ayons jamais vu. Penser que nos protégés, que nous avons si longtemps soignés, dorlotés et entourés de nos soins les plus attentifs volent librement sous ces étoiles est une récompense qui vaut plus que tout l’or du monde. Assis en-dessous de cette magnifique voûte céleste, nous pensons à Woody et à ses amis. Un moment inoubliable…
Cette fois, je te dis adieu, Woody, montre le monde à ta petite Justine, et si possible, restez groupés, mes treize sauvageons!