Un martinet alpin de 92 grammes et d’une longueur d’aile de 21,5 cm a besoin, pour décoller, d’une piste d’envol un peu plus grande qu’un martinet noir. Et d’autant plus lorsqu’il a passé six mois en captivité et n’a connu, pour sa rééducation, qu’une pièce de 40 m2. Rassurez-vous: la piste d’aviation que nous avons trouvée à Malika est grande et les conditions météo sont idéales.
Pour le relâcher de Malika, nous sommes allés dans le sud de l’Allemagne, car il n’y a pas de martinets alpins à Francfort-sur-le-Main. Un juvénile solitaire serait une proie toute trouvée pour un faucon pèlerin. Tout comme les jeunes martinets noirs, les jeunes alpins s’établissent ensuite au lieu d’où ils se sont envolés ou d’où ils ont été relâchés. Il nous faut donc un endroit où se trouvent déjà des martinets alpins. La ville d’Achern, située en bordure de la Forêt-Noire, abrite une colonie établie de martinets alpins. Malika avait vu le jour tout à côté, à Lahr. Elle nous avait été confiée le 2 octobre 2023 pour de graves lésions du plumage. Elle sera donc en terrain connu. Forte de ses douze rémiges neuves, qu’elle doit à un congénère espagnol décédé en mars à Malaga lors des intempéries, elle est on ne peut mieux armée pour affronter des vols long-courriers.
Il fait un temps de rêve. Des sites de nidification pour martinets alpins ont été aménagés sur l’emplacement de l’ancienne caserne d’Achern. Les oiseaux en ont pris possession et ils sont régulièrement occupés. Dès notre arrivée, nous sommes accueillis par les cris forts et aigus des occupants. Au moins sept « ventres blancs », les grands cousins de nos martinets noirs, sifflent tout en chassant les insectes tout près de notre tête. Nous ne sommes pas habitués à un tel spectacle à Francfort, et nous ne pouvons nous en rassasier.
Malika est excitée. Dès les vingt derniers kilomètres de notre voyage de deux heures, elle s’est mise avec conviction à gratter les parois de sa caisse et à faire du bruit pour attirer notre attention. Selon elle, le dernier repas remonte à trop longtemps – mais le prochain, elle devra se l’attraper elle-même ! Lorsque nous sortons la caisse de transport de la voiture et qu’elle entend les cris de ses congénères, elle est comme électrisée. Il lui faudra cependant patienter encore un peu. Nous saluons la soigneuse de la région d’Offenburg qui est rattachée à notre clinique et qui est venue ce jour pour participer au relâcher de Malika. Sans perdre de temps, nous trouvons un emplacement adéquat pour le relâcher; chacun d’entre nous se met en place et Malika est sortie de sa caisse. Voyant le ciel bleu au-dessus d’elle, Malika ne cesse de gigoter. Sa rééducatrice doit la maintenir fermement pendant un moment, afin qu’elle prenne connaissance du lieu et s’habitue à la lumière vive du soleil. Puis la main s’ouvre enfin et Malika s’envole.
Son départ est un peu trop casse-cou à notre goût ! Un vrai film d’action! Elle commence par survoler le sol sur dix mètres environ, puis elle tourne et disparaît derrière la première rangée de maisons, où nous courons à toute vitesse. Soulagés, nous la voyons décrire un élégant virage, avant de repasser devant nous et de faire un tour d’adieu au-dessus du champ avoisinant. Avec maîtrise, elle prend de l’altitude et rejoint le groupe des alpins autochtones.
Dans le ciel, nous voyons bien plus d’alpins qu’à notre arrivée - la petite nouvelle a désorganisé la nuée. Avant d’être acceptée, Malika doit d’abord, par ses cris, se faire identifier en tant que martinet alpin. Une fois cette formalité accomplie, elle sera intégrée rapidement au groupe et trouvera un nouveau domicile dans ce bel environnement. Et qui sait, peut-être nous reverrons-nous bientôt ? Car nos deux alpins qui restent, l’adulte Plesia et le juvénile Ulysse, sont bientôt prêts pour le décollage!
Photos: (c) E. Br., R. Dees / DgfM